Par Claire-Lise Tull

 

« L’importance de la littérature française en Allemagne ne cesse de décroitre ». Le diagnostic de Jürgen Ritte, professeur à la Sorbonne, était sans appel dans l’édition 2015 du Dictionnaire des relations culturelles franco-allemandes.

 

Au moment où la France est l’invitée d’honneur de la Foire de Francfort, les symptômes semblent en effet inquiétants. Le nombre de traductions du français vers l’allemand a plongé en quelques décennies. Alors qu’il représentait 20 % du total des traductions littéraires dans les années 50, il oscille entre 7 et 10 % aujourd’hui. Aux heures de gloire de Sartre et Camus, à la curiosité pour le Nouveau Roman ont succédé en Allemagne un scepticisme général, voire un désintérêt, pour une littérature jugée trop intellectuelle. Aux romans d’un Jean Echenoz ou d’un Patrick Modiano on reprochait encore il y a peu, outre-Rhin, de favoriser le fond sur la forme, de jouer avec les mots plutôt que de raconter des histoires. Dans le monde des Lettres, on garde en mémoire les réactions à l’attribution, en 2008, du prix Nobel de littérature à J. M. G. Le Clézio : le pape de la critique Marcel Reich-Ranicki avait affirmé ne pas connaître l’auteur et Sigrid Löffler, sa comparse de l’émission Das literarische Quartett avait jugé son œuvre « bizarre » et « ennuyeuse ».

 

Un tournant pourrait bien, cependant, être amorcé. « On est sorti du cérébral, les Allemands sont plus réceptifs », explique Paul de Sinety, en charge de la programmation de « Francfort en français ». En dehors de Michel Houellebecq, dont Soumission a consacré le succès avec 50 000 exemplaires vendus, des auteurs comme Emmanuel Carrère ou Mathias Énard font parler d’eux outre-Rhin. Le premier met sa vie au cœur de ses romans ; le second est maître de la narration, mais tous deux incarnent une littérature plus en phase avec la société et ses préoccupations. « Nous sommes redevenus attentifs à ce qui se passe en France », confirme le critique de l’hebdomadaire Die Zeit, Ijoma Mangold.

 

Difficile de savoir si ce regain d’intérêt portera aussi sur les auteurs francophones du monde entier, mis à l’honneur à Francfort. Boualem Sansal a obtenu le prix de la Paix des libraires en 2011 ; Kamel Daoud s’est fait un nom avec Der Fall Meursault. Michael Krüger, ancienne figure de la maison Hanser, constatait cependant au printemps, lors d’une table ronde organisée Paris, que le public allemand « se sent traditionnellement peu concerné » par l’histoire coloniale ou les autres rives de la Méditerranée. Les choses pourraient changer, au fur et à mesure que les problématiques de l’immigration et de l’intégration prendront du poids dans le débat public.

 

Par Redaktion ParisBerlin le 1 décembre 2017